ISSN: 1918-5901 (English) -- 1918-591X (Français)

 

2012: Volume 5, Issue 2, pp. 87-89

 

Un compte rendu de livre par

Martin David-Blais et François Miville-Deschênes

Université Saint-Paul, Canada

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Les relations publiques autrement
Par Matthieu Sauvé
Québec: Presses de l’Université du Québec, 2010. 120 pp.
ISBN: 9782760525894.

Matthieu Sauvé a récemment publié un important ouvrage dans lequel il propose une réflexion sur les fondements des relations publiques (RP) comme pratique de communication planifiée intitulé Les relations publiques autrement (2010). À l’exception notable de Danielle Maisonneuve, peu d’auteurs québécois ont réfléchi sur les fondements d’une profession qui mobilise beaucoup de praticiens et de ressources. Ce livre est important parce qu’il offre une contribution inédite si l’on considère qu’elle est formulée depuis le paradigme critique en sciences humaines. D’ordinaire, les auteurs critiques qui s’intéressent aux RP se contentent d’un effort de “dévoilement”, assimilant celles-ci à une entreprise de propagande fondée sur le recours systématique à des techniques de manipulation. Le propos de Sauvé est très différent en ce qu’il aspire à changer le réel avec le concours des praticiens des RP.

L’entreprise de l’auteur comporte passablement de radicalité. Sauvé est de ceux qui aspirent à l’établissement d’une société tout à fait autre de celle qui existe en ce moment. Cette société à bâtir serait établie sur le principe de la négociation et l’interdiscursivité permanente. Mais, en même temps, l’auteur prend acte de l’importance des organisations en contexte moderne, lesquelles quadrillent complètement l’espace social. Peu de pratiques paraissent dès lors mieux placées que les RP pour contribuer à un tel changement puisqu’elles pourraient être situées entre les organisations et leurs publics. C’est en ce lieu que doivent se redessiner les rapports de pouvoir en société. Le travail de Sauvé consiste à proposer une sorte de canevas général permettant de redéfinir complètement l’agir institutionnel des RP.

Même si Sauvé reconnaît que les RP ont évolué au fil des décennies, il soutient qu’elles demeurent pour l’essentiel dans le giron du paradigme fonctionnaliste-managérial et constituent, de ce fait, un puissant outil de préservation du statu quo. C’est pourquoi il propose de retirer les RP de l’emprise de la technocratie et du management pour placer ses praticiens entre les organisations et leurs publics (considérés alors comme des “parties prenantes”) dans une instance relationnelle tierce. Ce faisant, on pourra attribuer aux RP une fonction de facilitation consistant à amener diverses parties à négocier de manière constante le sens public et les décisions associées aux organisations.

Selon Sauvé, le paradigme fonctionnaliste-managérial se présente comme suit: 1) la finalité de toute pratique est de contribuer au maintien et au fonctionnement des organisations et du système général en s’acquittant d’une fonction précise (pour les RP: la maîtrise des publics jouxtée aux organisations); 2) chaque pratique comporte une gestion des rapports sociaux (les RP tendent au contrôle du sens public); 3) chaque pratique tend à induire des effets durables (la communication cherche à induire des effets de “naturalisation” et de réification). Mis en application, le paradigme fonctionnaliste-managérial, contribuerait à la légitimation du statu quo en expulsant les notions de subjectivité, de points de vue, d’intérêt pour imposer de façon constante le langage monopoliste et uniformisant de la science et de la rationalité. Précisons ici que le paradigme fonctionnaliste-managérial a, dans la réflexion de Sauvé, le statut de cadre intellectuel général; des théories pratiques en ont été tirées comme le PODC en gestion. Du côté des RP, la méthode RACE serait la principale théorie d’action.

La proposition qu’apporte le paradigme critique va directement dans le sens contraire: 1) la finalité de toute pratique sera de contribuer à l’édification d’une société d’interaction et de partage (s’agissant des RP, elles devraient se situer entre les organisations et leurs diverses parties prenantes); 2) la pratique apportera un mode d’intervention rendant possible l’interaction et la négociation (s’agissant des RP, elles devraient viser non seulement au partage de la construction de sens mais aussi des décisions par l’établissement d’une convention); 3) le résultat est appelé à être constamment renégocié (la communication en est une co-construction permanente de sens qui, loin d’être objectif et fixé, est constamment renégociée). La proposition fondamentale de Sauvé est d’attribuer aux RP une fonction de facilitation consistant à amener diverses parties à négocier de manière constante une convention régissant les décisions associées aux organisations.

Le concis livre de Sauvé consiste en une réflexion sur les fondements des RP et porte une ébauche du comment les RP pourraient “être autrement” tout en montrant ce que cela pourrait permette d’accomplir à l’échelle macro-sociétale. Ce livre demeure intéressant parce qu’il délaisse le terrain de la dénonciation et cherche à amener le paradigme critique du côté pratique puisqu’il est question de favoriser un changement social d’importance au moyen des RP. Ce faisant, Sauvé établit des liens avec toute la réflexion qui prévaut chez les théoriciens des RP du côté du relationnel et du bidirectionnel (dans le sillage des fameux travaux de Grunig) de même que, du côté de la réflexion sur les parties prenantes (stake holders) en théorie du management (dans le sillage des travaux de Freeman). Il s’agit par ailleurs d’un ouvrage assez bien documenté en ce qui concerne la littérature contemporaine consacrée aux organisations et aux RP. Le livre est toutefois décevant si on regarde les choses du côté pratique: s’il appelle le changement de tous ses vœux et que, pour cela, il propose une sorte de blueprint de l’agir institutionnel des RP, Sauvé ne se pose finalement pas la question du comment opérer un tel changement de paradigme dans le milieu des RP. L’auteur ne s’interroge aucunement sur l’adhésion des praticiens à sa proposition, laquelle leur propose de renoncer à leur relation présente aux organisations ainsi qu’à la nature actuelle de leur pratique. L’auteur ne se questionne pas davantage sur la réaction éventuelle des organisations à sa proposition advenant qu’elle soit mise en œuvre: tout se passe comme si la dimension conflictuelle, que pourtant Sauvé place au cœur de sa compréhension du réel social existant, disparaissait soudainement une fois le changement entrepris. Il nous est difficile de croire que les organisations ne percevraient aucun enjeu de fond dans le fait que les RP sortent de leur sphère de contrôle et qu’elles doivent se soumettre aux conventions négociées avec les parties prenantes. Cela revient à une perte de contrôle des organisations sur l’essentiel de leurs activités.

Il ne s’agit pas, pour nous, de rejeter en bloc la pertinence de la réflexion critique de Sauvé; il s’agit plutôt de lui demander de reprendre sa réflexion et de la confronter aux enjeux forts que sa proposition de changement va très probablement créer. C’est à ce prix qu’il parviendra à amener véritablement le paradigme critique du côté de la pratique politique.

À propos des réviseurs

Martin David-Blais est directeur de l’École de communications sociales et de leadership de l’Université St-Paul. Il a publié plusieurs articles sur l’épistémologie des sciences sociales et la théorie de la communication. François Miville-Deschênes a travaillé plus de vingt ans dans le domaine des communications au Gouvernement du Canada, notamment au Conseil du Trésor; il enseigne présentement les relations publiques à l’Université Saint-Paul. Martin David-Blais et François Miville-Deschênes travaillent tous deux sur la rédaction d’un manuel général de relations publiques. Ils annoncent au surplus qu’ils publieront sous peu une réflexion beaucoup plus en profondeur sur la contribution de Matthieu Sauvé.

Pour citer ce compte rendu de livre:

David-Blais, Martin & Miville-Deschênes, François. (2012). [Compte rendu du livre Les relations publiques autrement]. Global Media Journal -- Canadian Edition, 5(2), 87-89.

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